Une tâche difficile
Publié le 28-10-2024
L'intégration européenne des États et des peuples du continent est un projet politique grandiose, lancé il y a 75 ans, et caractérisé dans les décennies suivantes par des réalisations importantes, caractérisées par le caractère progressif d'une politique supranationale. construction.
Pour ces réalisations, la politique s'est confiée au droit et aux institutions qui en découlent. Les anciennes Communautés européennes - aujourd'hui l'Union européenne - sont le résultat de choix politiques confiés à une séquence de traités (établissant d'abord le communautés, puis en les modifiant et en les intégrant progressivement). Les traités établissent des objectifs, des principes et des règles pour mettre en œuvre l'intégration progressive des États européens.
Le grand projet politique repose sur un système de valeurs partagées et, surtout, sur la volonté affichée de les placer à la base d'un avenir commun, qui permettrait véritablement à l'Europe de laisser derrière elle les tragédies de la première moitié de l'année. le 20ème siècle.
En juin dernier, les citoyens des États membres ont été appelés aux urnes pour élire les membres du nouveau Parlement européen. Les règles établies dans les traités s'inspirent de la volonté de donner vie à une dialectique parlementaire basée sur des partis « européens », des formations qui reflètent les inspirations et les orientations des députés projetés dans une dimension européenne. Autrement dit, la salle hémicycle du Parlement européen (PE) ne voit pas les parlementaires classés selon les groupes nationaux (les Français tous ensemble d'un côté, puis les Allemands, les Chypriotes, les Lituaniens, les Italiens, les Polonais, etc.) pour 27 groupes). Ils sont insérés dans des formations politiques européennes, comme le Parti Socialiste Européen, le Parti Populaire Européen, les libéraux, les conservateurs, etc. Les parlementaires élus par le peuple de chaque État membre sont placés dans ces formations européennes.
La campagne électorale et les résultats des récentes élections offrent des pistes de réflexion sur la nature dite dualiste de « faire de la politique » dans un organe parlementaire européen. Chaque parlementaire est l'expression de la réalité de l'État membre auquel il appartient et, en même temps, devient le créateur d'actions et de politiques à caractère européen.
Dans le monde de l'information, on a tenté de simplifier le tableau des formations qui se sont présentées aux électeurs des différents États membres, en les présentant comme favorables à l'intégration européenne ou « souverainistes », c'est-à-dire visant à la défense acharnée de la souveraineté nationale.
D'une manière générale, le résultat du vote - qui a connu une faible participation - ne semble pas avoir récompensé les partis « souverains ». Autrement dit, trois formations « européistes » (socialistes, populaires et libérales) ont été confirmées au sommet. Cependant, force est de constater que certains groupes d'extrême droite dans différents pays (France, Italie, Hongrie, République tchèque, Allemagne, Autriche, Pays-Bas...) ont obtenu un nombre important de sièges, et le nouveau PE comprend des groupes des hommes politiques ouvertement hostiles aux progrès de l’intégration. Le nouveau groupe des « Patriotes » est donc un champion indécent de l’intolérance, du racisme et de la xénophobie. A l'extrême gauche, La France insoumise par l'imprésentable Mélanchon.
La nouvelle composition du Parlement nous permet de voir l'inévitable contradiction entre la volonté de mettre en œuvre des programmes politiques qui revendiquent la primauté de la souveraineté nationale et la nécessité de créer des formations européennes et multinationales. Dans ces formations, c'est-à-dire que les parlementaires de chacun des partis nationaux siègent à côté de collègues porteurs de plus de différences que d'affinités en ce qui concerne l'expression des intérêts. Pensez simplement à la question de l’immigration. Par exemple, Le Pen, Orban, Salvini sont des souverainistes aux intérêts non convergents sur des aspects comme les frontières, l’hospitalité, la solidarité (pour ne pas perturber la fraternité).
Il existe ensuite des thèmes majeurs qui nécessitent des visions et des objectifs partagés pour relever efficacement les défis de notre époque. Dans les années à venir, l’Union européenne ne pourra pas ne pas aborder des questions de grande envergure : la nécessité d’une politique étrangère et de défense commune ; les défis environnementaux et climatiques ; les urgences liées à l'immigration ; choix économiques, commerciaux, financiers et fiscaux.
Ces défis se posent à une grande entité – l’UE – dont la capacité à agir efficacement est encore limitée par des règles et des procédures qui confèrent un pouvoir excessif aux États individuels. Les questions importantes (telles que la politique étrangère et de défense) restent conditionnées par la règle qui exige des décisions unanimes. Les débordements délabrés ces dernières semaines du Hongrois Orban (qui se déclare à la tête d'une "démocratie illibérale", un oxymore évident) montrent combien il est difficile pour l'Union de prendre des initiatives importantes dans une période dramatique qui va se poursuivre (par qui sait combien de temps encore ! ) une guerre en Europe.
Il y a soixante-dix ans, en août 1954, l'Assemblée nationale française (avec le vote convergent des communistes et des gaullistes) sabordait le traité instituant la Communauté européenne de défense (CED), pierre angulaire d'une union politique souhaitée, avec force. souhaité par le président Alcide De Gasperi.
Dans son beau livre De Gasperi solo man, sa fille Maria Romana écrit : « J'ai vu les larmes couler sans honte sur le visage désormais vieux de mon père, alors qu'il criait au téléphone au Premier ministre : « Mieux vaut mourir que ne pas faire le ced (...) Ce n'est pas une question de jeu parlementaire sur laquelle des compromis peuvent être trouvés, c'est une pierre angulaire. Si l’Union européenne n’est pas créée aujourd’hui, elle devra inévitablement l’être dans quelques décennies ; mais que se passera-t-il entre aujourd'hui et ce jour-là, Dieu seul le sait'".
Quinze ans ont passé et l'intégration ne progresse pas. Y parviendra-t-il avec un Parlement européen pris en otage par des souverainistes et des populistes de divers horizons ?
Edoardo Greppi
NP Août / Septembre 2024