Envie d'avenir
Publié le 12-03-2022
Lorsqu'une époque se termine et qu'une nouvelle commence, le temps qui passe nous confie un triple défi : vivre « la fin », « la fin » et « la limite » du temps. La "fin" marque ce qui ne peut jamais revenir.
C'est l'expérience de petites et grandes morts qui incluent des peurs et des relations, des plans et des choix. Les voir échouer ou insatisfaits, c'est vivre la fin. Quand quelque chose se termine ou que quelqu'un meurt, on est toujours en retard pour ce moment, il manque toujours un mot à dire ou une caresse à donner.
Le pays a compris la gravité du temps quand, dans la nuit du 18 mars 2020, il a vu la photo prise par un steward de véhicules militaires défilant dans la rue chargés de cercueils. Face à cette scène, on a compris que le citoyen adulte fonde sa force sur sa propre faiblesse. Était-il politiquement correct de ne pas donner la possibilité de prendre congé de ses proches avant de mourir ? Combien de douleur silencieuse s'est logée dans le corps social ? Avec quels critères la classe politique a-t-elle considéré ce choix comme juste ? Les croyants, plongés dans cette immense douleur, n'ont pas abandonné les lignes de front dans les hôpitaux, les prisons et les écoles. Beaucoup ont payé du prix de leur vie, fidèles à leur mission, tandis que d'autres se sont réfugiés chez eux en ne pensant qu'à eux-mêmes. Le premier contribuait à éclairer la nuit, le second ne faisait que l'allonger.
C'est une façon de vivre et de penser politiquement. Pour cette raison, dans son message de fin d'année (2020), le président de la République, Sergio Mattarella, a demandé de reconstruire le pays sur le plan moral et politique : « Maintenant, nous devons préparer l'avenir, nous ne sommes pas vivre une parenthèse de l'histoire.
C'est le temps des bâtisseurs ». Ensuite, il y a l'expérience de la fin, c'est-à-dire le choix de la fin vers laquelle orienter la vie.
Suivre une voie exclut toutes les autres possibles, si vous voulez être réformiste vous ne pouvez pas être conservateur. Choisir où marcher en tant que peuple, c'est planifier la vie d'une communauté politique. La politique pour le croyant oblige aussi l'expérience de la frontière, celle du déjà et du pas encore : on pleure mais on peut aussi se réjouir ; nous vivons dans un monde injuste et violent, mais il y a aussi des histoires de justice et de paix ; vous mourez mais faites l'expérience de la vie éternelle.
L'expérience de la frontière anime aussi la vie sociale et politique. L'alternative aux puissants et aux tyrans sont ceux qui reconstruisent le monde sans faire de bruit.
Le Président de la République en choisit quelques-uns pour en représenter beaucoup, et c'est à eux qu'il a attribué les 26 honneurs au Mérite de la République.
Ce sont eux que nous devons surveiller et que le journalisme doit raconter.
Le temps de la crise a fait ressortir le besoin de Dieu et l'importance de la vie de foi qui redonnent à la vie politique la valeur authentique du temps.
Pour les Grecs, le temps était le chrónos mais aussi le kairós. Le premier coule, le second est la dimension dans laquelle « quelque chose » se passe. Chrónos est quantitatif, kairós a plutôt un caractère qualitatif, c'est le temps des choix, quand la lumière entre dans les ténèbres et nous permet de distinguer le bien du mal.
L'anxiété généralisée, les peurs et la rébellion du corps social émergent quand on vit passivement le chrónos, oubliant la beauté du kairós. Homologer le faire nous fait tous perdre la mémoire de l'être. Et pourtant, vivre à (son) temps pour découvrir le kairós est le commencement de toute liberté et le fondement de toute responsabilité politique et sociale. L'apôtre Paul parle du temps comme kairós et non comme chrónos. Nous qui le lisons aujourd'hui ne demandons pas de se retirer, mais de rétablir une hiérarchie des valeurs afin de vivre pour que "ceux qui pleurent (vivent) comme s'ils ne pleuraient pas".
C'est une autre façon de vivre et de se situer dans la réalité qui peut changer ce monde si éphémère et pragmatique.
Il faut avoir la nostalgie de l'avenir, pas du passé, pour gouverner ces temps difficiles : celui qui jouera le joker de la solidarité gagnera. Sinon l'alternative est celle décrite par Samuel Beckett, dans son Endgame. Dans le dialogue entre les deux protagonistes, Hamm demande : « Quelle heure est-il ? », le serviteur Clov répond : « Comme toujours ». Pouvons-nous continuer à survivre à une époque qui est toujours la même et qui n'a pas de sens ?
Faut-il continuer à dire qu'hier était meilleur, sans l'envie de construire demain ? Dans les replis de l'histoire, la solution est celle décrite par Tolkien dans sa puissante image du feu : « Les racines profondes ne gèlent pas. Des cendres renaîtra un feu ».
La politique des catholiques est appelée à se purifier et à être comme le levain qui ne défend pas des rentes ou des positions, mais féconde de nouvelles idées et visions. […] C'est le feu des idéaux qui ravive les cendres des politiques disparues, car chez un peuple l'idéal ne peut naître que de la perception du beau et du juste. Pensons aux nombreux « fruits mûrs » qui naissent des études et des compétences de tant de femmes et d'hommes de foi. […] Les inégalités dont dépendent le travail, la santé et l'éducation doivent être repensées par le rapport entre foi et justice en politique.
En effet, pour les sociologues, si les riches s'enrichissent et le reste de la population s'appauvrit, le danger de troubles sociaux sera au coin de la rue. Sur quels principes, alors, fonder la coexistence sociale et politique ? Sur ceux de l'efficacité et de l'utilité ? Ou même sur ceux de la solidarité et de la justice ? C'est typique des politiques faibles, qui adoptent des récits forts et sans ambiguïté, pour imposer des modes de vie et des manières de conquérir un pouvoir illusoire.
Francesco Ochetta
Focus
NP décembre 2021