Mes racines

« Les arbres ont pitié des hommes parce qu'ils n'ont pas de racines ; Je ne suis que de passage." Cette ligne de Pascale Lemaître rappelle un passage du Petit Prince et, comme souvent, sous l'apparence d'une phrase humoristique dite avec légèreté, elle contient un grand sujet de réflexion. Il y a peut-être même plus d'un siècle aujourd'hui, le manque d'enracinement des hommes est préoccupant, même s'il est de plus en plus répandu. Les arbres ont pitié des hommes, car grâce à leurs racines profondes, ils peuvent affronter les variations du temps, la violence du vent et régner sur un territoire, limité, mais dans lequel leur présence non seulement se démarque, mais influence et donne un visage caractérisé par leur existence. S'ils sont persistants ils donnent vie à l'hiver en supprimant son aspect mort, s'ils sont caduques ils colorent et caractérisent l'environnement avec la splendeur et l'émerveillement de la variation de leur feuillage ; avec leurs racines et leurs feuilles ils donnent vie au sol, avec leur souffle l'oxygène à l'environnement. Nous pouvons donc nous demander : que devons-nous apprendre des arbres ? La mentalité écologique nous amène à prendre en compte leur présence et leur besoin pour notre équilibre psychologique et physique. Mais avec notre petite phrase on peut s'interroger sur leur enseignement philosophique.

"Les hommes? Il y en a, je pense, six ou sept. Je les ai aperçus il y a quelque temps. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les porte. Ils manquent de racines et cela les gêne beaucoup » dit la fleur du désert au Petit Prince. Ne pas avoir de racines, je ne parle pas des racines physiques, signifie qu'il n'y a ni stabilité spirituelle, ni émotionnelle, ni psychologique. Vous risquez de ne pas savoir qui vous êtes, ce que vous voulez ou comment vous pouvez aimer. Et cela devient une blessure profonde qui se cicatrise superficiellement avec divers types de pansements, mais qui fait souffrir « à l'intérieur », car elle provoque une mauvaise solitude : non pas celle qui permet de se retrouver et de grandir en humanité, mais celle qui isole et étouffe d'amertume et de tristesse. Certaines plaies ne laissent aucune trace visible, mais restent une source continue d'infection et de malaise

L'homme est fait pour les relations, non seulement horizontales d'amitié et de solidarité, qui sont très belles et nécessaires, mais aussi verticales, c'est-à-dire avec ce qui est notre passé et qui nous a constitués tels que nous sommes, et la préparation de ce qui s'en suivra dans le futur, des relations où l'on ne meurt pas enveloppé et étouffé dans une bulle où l'on est seul à exister. Ces racines, souvenirs ou œuvres accomplies peuvent être douloureuses pour ce que nous avons vécu, ou dérangeantes pour une vision du futur couverte de nuages ​​sombres, mais elles restent nécessaires pour que nous soyons qui nous sommes et ne nous laissions pas emporter par le vent. "Ils sont six ou sept" dit la fleur, alors qu'au contraire ils sont des milliards : s'ils ne savent pas s'arrêter pour contempler une fleur, petite, dans le désert, s'ils ne savent pas laisser une empreinte de leur passage, ils sont comme s'ils n'existaient pas. Les racines servent à nous lier à la terre et à nous nourrir de vie : nous ne sommes pas sans passé et nous ne serons pas sans avenir. Passer sans y être est gênant, dirait la fleur et c'est être intemporel, souvenir fugace d'un temps passé dont on ne se souvient pas.

La joie de retrouver de vieilles photos de moments oubliés nous fait prendre conscience que nous devons nous souvenir de nos racines, non seulement des moments, des sensations, mais surtout des personnes : chacune en effet nous a en quelque sorte façonnés. Cependant, il ne s'agit pas seulement d'avoir des racines, il faut aussi les laisser s'enfoncer dans une bonne terre, dans laquelle elles ne soient pas emportées par le vent, ne se dessèchent pas par négligence et ne soient pas étouffées par des choses inutiles.

Cesare Falletti

NP Ottobre 2021