Essayez de faire les équations vous-même

Imaginons que nous partions pour un pays lointain, la Chine ou le Japon. Il est fort probable que nous découvrirons la cuisine, les usages et les coutumes des personnes que nous allons connaître, peut-être essayerons-nous d'apprendre quelques mots de la langue locale. Nous sommes en effet conscients d'entrer en contact avec des personnes qui vivent différemment des nôtres. Et cela ne nous surprend pas. Une situation similaire se produit avec l'histoire, mais avec des effets différents. Étudier l'histoire, c'est comme voyager: cette fois non pas dans l'espace mais dans le temps. Connaître le passé, c'est être prêt à rencontrer des gens qui ont peut-être vécu dans les mêmes endroits que nous mais qui avaient une façon de se concevoir et la réalité qui les entourait très différente de notre sensibilité.

 

Il n'est pas facile de comprendre cette différence et c'est la raison pour laquelle nous trouvons si difficile aujourd'hui d'étudier l'histoire. Nous ne comprenons pas le passé car les mentalités anciennes sont profondément différentes des mentalités actuelles. En particulier, nous vivons aujourd'hui dans une société à plat sur le présent et qui ne reconnaît donc pas le sens du passage du temps, de la distance historique et du changement. Faute de sens historique, on tombe dans l'anachronisme et on juge le passé incorrectement car il est jugé selon des catégories qui n'en font pas partie. C'est comme mal juger un enfant de six ans pour ne pas être capable de résoudre une équation du deuxième degré. Reconnaître la distance historique, comprendre par exemple que les Romains avaient des valeurs, des idées, des structures politiques, économiques et sociales différentes des nôtres, c'est fondamentalement mieux les comprendre, comprendre de manière authentique les raisons de leurs actions (sans vouloir les justifier!) . Découvrir la distance temporelle et culturelle est important pour reconnaître les différences et donc comprendre le parcours humain entrepris.

 

Essayons de donner un exemple. Notre Constitution réaffirme l’égalité entre tous les citoyens en tant que droit fondamental. L'anachronisme, c'est penser qu'il en a toujours été ainsi et qu'il en sera toujours ainsi. La définition de ce droit est le résultat d'un parcours historique très fatigant qui a dû surmonter ce qui a été pendant des millénaires l'une des convictions humaines les plus répandues et les plus profondément enracinées: l'inégalité naturelle entre les hommes. Pour nous comprendre, essayons de prendre une ligne d'un mètre de long et de la considérer comme la chronologie qui couvre toute l'histoire de 3200 avant JC (invention de l'écriture) à aujourd'hui. Si nous voulions voir à quel moment dans la chronologie le principe juridique de l'égalité des citoyens avant que la loi ne commence à se répandre, il faudrait attendre 95,56 cm avec la Déclaration de l'homme et du citoyen de 1789. Dans tous les centimètres précédents , toujours et seulement l'inégalité! L'égalité et avec elle la liberté individuelle sont donc de jeunes filles des temps récents et - comme tout enfant - elles doivent être aimées, protégées des dangers par ceux qui continuent à haïr et éduquées afin qu'elles puissent grandir de la meilleure façon.