La valeur du temps

Le temps passe vite. Déjà le fait de devoir écrire le prochain article pour Nouveau Projet, alors qu'il me semble que je viens de terminer celui du mois dernier, ou le fait de penser à mon l'âge, me fait prendre conscience de cette course rapide. Donc? Devenir triste? Pouquoi?

Il n'y a que le moment présent, celui dans lequel je peux aimer, qui est la seule chose qui compte vraiment. Il n'y a pas de manière unique d'aimer et le temps, même s'il court vite, est semeur de possibilité d'amour. Cela vaut la peine de le vivre, sans regretter le temps d'hier, qu'il ait été bon ou mauvais, temps utile ou perdu, et sans imaginer un avenir qui ne m'appartient pas. Tout ce qui s'est passé ces dernières années et ce qui se profile aujourd'hui nous apprend à chercher ce qui est essentiel, ce qui est possible et ce qui vaut la peine d'attendre. L'attente est, ou du moins peut être, la possibilité de créer en nous un espace de vraie vie. L'attente est un temps de croissance, si notre attente vise ce que la vie apporte ; cela peut être un ami ou une réussite dans le travail, un sentiment qui est semeur de beauté ou bien d'autres choses que le Créateur nous a donné à semer sur terre et qui nous apprend à attendre pour en récolter les fruits.

Dans le livre de Qoeleth on parle beaucoup de se laisser emporter par le vent, symbole de la vanité et de l'inconséquence de bien des choses qui nous paraissent importantes, pour dire combien de nos préoccupations peuvent être sans aucune solidité; d'autres auteurs bibliques reprennent l'image pour appeler le peuple à assumer la responsabilité de l'époque qu'il vit. Un père de l'Église, moine, pour inviter à être fidèle à la prière dans la solitude de la cellule, condamne ceux qui sortent à « aller nourrir le vent » ! Que faisons-nous, que voulons-nous faire, à quoi voulons-nous consacrer du temps ?

Perdre du temps est-il toujours quelque chose de négatif ? Peut-être en avons-nous besoin pour donner de l'espace à la naissance de pensées et de sentiments qui ne découlent pas de ce que nous pouvons organiser ou décider. Le vide apparent est peut-être le lieu d'une terre qui attend la germination des premières pousses, des graines non semées, d'une nouveauté qui ouvre une nouvelle voie.

Attendre une personne, peut-être très tard, peut générer une forte nervosité, mais cela peut aussi être l'occasion de réfléchir sur des sujets qui nous échappent du fait de la rapidité avec laquelle on vit ou préparent le cœur à une rencontre à un autre niveau.
Même un feu rouge peut être l'occasion d'une pensée rapide à Dieu, d'une invocation, d'une louange, d'une supplication... ou simplement d'une respiration relaxante.
Le temps est un cadeau à ne pas gaspiller, mais l'efficacité, la productivité et l'exploitation ne sont pas toujours la meilleure façon de le gérer, de profiter du cadeau ou d'être reconnaissant envers le donateur. Pour reprendre l'image des prophètes, le vent peut être un souffle incohérent, qui se vide et se disperse, ou il peut devenir celui qui féconde, qui permet aux graines de s'envoler pour s'implanter et aux pollens d'assurer que les fleurs puissent devenir des fruits, aux voiles pour gonfler et porter les bateaux à travers l'immensité de la mer. Raser le vent est l'image d'une évasion des responsabilités réelles, mais saisir le vent pour créer de l'énergie propre est un service rendu à l'humanité. Tout cela nous apprend que, si nous saisissons le sentiment d'être victimes de l'histoire, des événements, du travail ou de nos forces, il est peut-être possible de vivre autrement ce qui nous défait ou nous contredit.

La sagesse n'est pas faite de quantités et de choses, mais de la façon dont nous accueillons la vie qui se présente à nous. Même avec Dieu, le Dieu qui vient, nous pouvons l'attendre comme bourreau, comme juge ou comme Miséricorde.
Dieu ne change pas; c'est nous qui, en attendant, changeons son image inscrite dans nos cœurs.


Cesare Falletti
NP mai 2022