Quelle beauté!

En cette année où l'on commémore le septième centenaire de la mort de Dante, il est juste que nous nous appliquions à faire connaissance avec notre grand poète.
Pour cette raison, il y avait aussi un événement dans mon monastère. Nous voulions nous souvenir de la grande marche de Dante dans les trois mondes de l'au-delà et, étant donné que le ruisseau qui coule au fond de notre vallée s'appelle "Infernotto", il était normal de descendre en enfer, puis de gravir la montagne du Purgatoire avec difficulté, pour se rendre au monastère et louer Dieu avec des chants censés être des échos des chants des saints et des anges. Chacun a reçu un personnage de l'Enfer à commenter et j'ai eu la chance de tomber sur Ulysse avec son vers célèbre : "Considérez votre semence : vous n'étiez pas faits pour vivre comme des brutes, mais pour suivre la vertu et la connaissance" (sic !).

La vie nous pèse parfois, ainsi que, avouons-le, la méchanceté des gens ; un psaume reconnaît que parfois nous sommes comme des bêtes (brutes), mais nous gardons notre grandeur car Dieu reste avec nous même dans notre pire abjection : nous pensons à la mort de Jésus sur la Croix. Ulysse exhorte ses disciples, se souvenant de leurs actes héroïques passés, à défier l'impossible, voire l'interdit par les dieux. Dante semble partager ce sens de l'interdit, de l'interdiction de la remise en cause des limites humaines. Pourtant tout son poème est un hymne à la grandeur de l'homme et certainement pas l'éloge des médiocres et des peureux. Aspirer à conquérir des choses impossibles, ou apparemment telles, a toujours été le moteur du progrès humain et cela, même si parfois l'homme a tenté de le voler à Dieu, c'est ce que nous avons comme devoir. On peut faire de belles victoires de zones infernales de paradis, de tortures dues à des maladies, voire d'inimitiés cruelles de belles amitiés ; et il me semble qu'on ne trouvera jamais l'excuse que c'est trop dur ou trop haut. Nous n'atteindrons peut-être jamais le but, mais nous aurons marché.

Je sais trop bien que les années qui avancent ralentissent la marche, mais l'important, comme d'habitude, ce n'est pas la quantité ou la distance parcourue, mais la joie d'avancer, même à petits pas. Ulysse, qui voulait aller au-delà des piliers d'Hercule, est vu par Dante comme celui qui ne tient pas compte des limites de la créature et qui se pose comme celui qui n'a pas de limites. Certes la vraie crainte de Dieu nous place dans un réalisme sain, mais elle ne veut pas nous couper les ailes ; l'acceptation de nos limites se manifeste dans l'humilité de celui qui ne se fâche pas et ne rage pas contre l'obstacle, mais pas dans le renoncement à avoir des projets grandioses. Parfois, nous cachons de belles choses dans le tiroir de l'humilité, tandis que nous laissons de côté ce qui oublie la charité, le respect, la disponibilité à aider. Si, comme le dit saint Irénée, « l'homme vivant est la gloire de Dieu », il faut vraiment vivre jusqu'au bout. Irénée explique que la vie de l'homme est de contempler Dieu pour admirer sa grandeur et sa bonté et la refléter sur le monde entier.
Je ne pense pas que nous soyons tous tenus de concourir pour de grands prix, mais la beauté de Dieu se reflète dans les grandes œuvres de l'homme, bien que de manière cachée, dans chaque bonne tentative pour rendre le monde plus merveilleux et plus glorieux que Dieu. Alors nous atteindrons bien au-delà des colonnes d'Hercule, que nous avons déjà largement dépassées, en effet nous sommes arrivés sur la Lune et sur Mars ! Mais les beautés que le Créateur a mises dans la nature, nous ne les avons pas encore toutes découvertes et il y a le risque qu'en cherchant des choses qui nous enlaidissent et nous rabaissent, nous les cachions ou les détruisions.

Le monde a toujours avancé grâce aux chercheurs des beautés que Dieu a cachées dans la création et ils les ont recherchées dans la beauté du respect et dans le courage de ne pas s'arrêter à de petites conquêtes, mais en désirant toujours plus. 

Cesare Falletti
NP novembre 2021